Avec 305 victoires, « Soum » bat son propre record de victoires mais également celui d’Europe. Quel défi remporté, un travail de longue haleine, sans relâche et au prix de nombreux sacrifices !
Quant à Bertrand, il n’a rien à lui envier. Avec une seconde Cravache d’Or (92 victoires), il rentre dans le cercle très restreint des champions de l’obstacle. Depuis presque 10 ans, il est quasiment sur le podium chaque année ! Un exploit, quand on connaît la difficulté et la dangerosité de la discipline.
Les deux cracks se sont retrouvés le temps d’un instant pour échanger sur cette année riche en émotions !
Bertrand Lestrade : Comment prépare-t-on une année comme celle que tu as assumée en 2017 ?
Christophe Soumillon : Une fois décidé, je l’ai annoncé à la télé personnellement quelques semaines avant de commencer, mais mentalement et physiquement je m’étais déjà préparé depuis trois - quatre mois. J’étais assez remonté, j’avais vraiment envie de reprendre mon titre et de faire mieux que Pierre-Charles. Beaucoup de gens ont la mémoire courte et oublient vite ce que j’avais fait auparavant, donc cela m’a donné encore plus envie de montrer ce que j’étais capable de faire. Je me suis mis dans de bonnes conditions tout de suite, avec beaucoup de sacrifices, que ce soit au niveau de ma famille, de la nutrition et de ma préparation physique. Je m’entraîne tout seul. J’ai eu des coachs dans le passé, j’ai appris au fur et à mesure des années. Aujourd’hui je connais bien mon corps, mes limites, je sais comment faire pour me surpasser. En décembre, j’ai fait des déplacements en montagne pour bien me préparer et pour attaquer dès janvier. Physiquement, je me suis senti au top jusqu’en juin, jusqu’à ma malheureuse chute dans le Prix de Diane. Je me suis gravement blessé au niveau de l’épaule et cela m’a beaucoup embêté pendant quasiment deux mois. Cela s’est ressenti sur mon entraînement évidemment, mais je restais à 80% de mes moyens. J’ai continué à aller de l’avant, en commettant peu d’erreurs. Tout est rentré dans l’ordre courant septembre, j’ai pu reprendre un entraînement régulier, mais moins intense car j’étais très « affûté ». J’étais prêt à terminer l’année. Avec un nombre de montes important et tous les déplacements, je n’avais pratiquement plus besoin de faire trop de sport, j’étais très léger. Je n’ai jamais douté, j’étais sûr de mon coup d’un bout à l’autre. A certains moments, j’ai même pensé que j’allais pouvoir faire 350 ! Il est vrai qu’il y a eu quelques périodes de tension, car lorsque, avec 6 ou 7 montes, je n’étais pas une fois dans les 5 premiers, (le genre de truc qui te rend fou) ça pouvait m’inquiéter … mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, les secondes places me confortaient dans l’idée que la prochaine course se concrétiserait par une victoire avec ces chevaux là. Etonnement, ce n’est pas toujours décevant d’être battu … Cela m’encourageait pour la suite, au vu des mois qui restaient. Dans l’organisation de cette année, il y avait également une préparation avec la clientèle. Faire en sorte, avec Pierre-Alain Chereau, mon agent, que l’on puisse étendre notre relationnel pour obtenir un maximum de monte avec beaucoup de déplacements. Ce qui est curieux, c’est qu’il y a des régions dans lesquelles je suis plus performant que d’autres … dans le Sud-Ouest / Sud-Est, je suis en général bien armé, dans l’Ouest, je n’ai pas grand chose et dans l’Est, je n’ai pas une monte, à croire que je suis totalement inconnu … (RIRES). Ce qui a surpris beaucoup de personnes, c’était de ne pas me voir dans certaines grandes réunions parisiennes et me retrouver à Marseille par exemple. En effet et malheureusement, j’avais peu ou pas de partenaires pour ce type d’échéances, en comparaison avec la province. Donc, l’intérêt était vite évident. Lorsqu’on annonce un défi tel que celui-ci, on se doute bien que les déplacements seront prévus pour une recherche maximale de victoires. C’est comme ça que Pierre-Charles a fait, tout comme Peter Schiergen. Et c’est aussi ce que font naturellement tous les jockeys anglais … sans pour autant chercher à battre de record.Â
CS : Et toi, quel est ton quotidien ? Ton rythme ?
BL : Il est un peu plus allégé depuis 2/3 ans, car j’ai choisi l’option de ne travailler quasiment que pour Guillaume Macaire. Je ne suis pas fermé aux autres montes, mais je ne suis pas dans la recherche active de collaboration avec d’autres entraîneurs. Je suis aux écuries le plus souvent possible pour travailler les chevaux, pour les sauter, bien les connaître, apporter ma pierre à l’édifice. Concernant le rythme des courses, je me déplace beaucoup, souvent simplement pour une ou deux montes, mais toujours à bon escient, c’est d’ailleurs un privilège.Â
BL : Est-ce que tu te relancerais dans ce type de défi ?
CS : Ce que je viens d’accomplir n’a peut-être pas été compris par tous, mais ce défi me paraissait, à ce moment là, obligatoire et important pour moi, car je savais de quoi j’étais capable, mais surtout pour ma carrière. Il fallait que je montre que j’étais toujours au niveau, à ceux qui avaient arrêté de me faire monter, que j’étais toujours présent, que j’avais la rage de vaincre, que ce n’est pas mes 3-4-5 cheveux blancs qui me font ralentir. Cette année, je me sens encore mieux que l’an dernier, tant psychologiquement que physiquement. J’ai moins de déplacement, plus cool, mais avec de très bons résultats. Je réponds alors OUI, si je suis titillé, si j’ai besoin de le refaire, je le referai ! Je suis un homme de défi, j’aime la pression.
BL : As-tu un entraînement, un régime particulier ?
CS : Je m’entraîne encore beaucoup, mais différemment. J’ai eu plusieurs étapes dans ma carrière concernant ma forme physique. Quand je reviens 10-15 ans en arrière, je ne faisais quasiment jamais de sport, par manque de temps, avec les déplacements et parce que je montais beaucoup le matin. J’ai toujours été très sportif, donc de temps en temps avec les copains, j’allais faire un peu de sport. J’ai alterné plusieurs méthodes pour trouver ce qui m’allait le mieux. Je suis bien sûr allé au sauna. J’ai aussi beaucoup couru, mais c’était dur car certains jours je n’avais plus de jambes pour monter. J’ai essayé aussi le vélo, mais j’ai pris trop de muscles … Et puis j’ai trouvé mon équilibre à travers un melting pot de tout ça. Lorsque le temps ne le permet vraiment pas, je fais un peu de renforcement en salle. Mais je préfère m’aérer et aller à la découverte de nouvelles sensations, de nouvelles saveurs, de nouvelles odeurs, me balader. « La montagne, c’est mon dada » … Ça me permet d’emmener les enfants un maximum avec moi, ils aiment faire du sport et moi je profite d’eux. Ce sont eux qui me donnent l’envie chaque jour de me surpasser. A travers ce genre d’entraînement, je leur montre l’exemple, ils aiment bien me voir gagner.Â
CS : Comment se prépare-t-on en tant que jockey "Macaire" ?Â
BL : En travaillant pour un entraîneur tel que Guillaume Macaire et en montant la plupart du temps des chevaux de qualité, très souvent favoris, on est « attendu au tournant ». Nous sommes très suivis par les parieurs, il faut donc adapter nos montes et nos tactiques de courses en fonction, car il est possible que sans la présence « des Macaire », la course aurait pu se passer différemment. Donc on essaye d’être plus malin que les malins (RIRES). Mais je n’ai pas d’entraînement particulier, je n’en ai plus vraiment besoin, j’ai bien régulé mon poids, monter le matin me suffit à me maintenir en forme. En revanche, je prépare toujours bien mes reprises après des blessures.
BL : Qu’est ce qu’il manque à ton palmarès ? Une nouvelle Cravache pour battre un nouveau record ? Le Kentucky Derby ? Le Derby d'Epsom ?
CS : Hm … une Cravache … Il en manquerait un peu trop pour avoir la chance de battre Yves Saint-Martin avec ses 15 Cravaches d’Or. Pour l’instant ce n’est pas une priorité, c’est le genre de chose qu’on appréhende « step by step ». On ne sait jamais ce qu’il peut se passer dans une saison, les différentes propositions, des imprévus compliqués. Je ne me projette pas autant. Et puis, ce n’est pas le jockey qui décide de tout ... Ce que je souhaiterai surtout, c’est remporter les belles courses … qu’il me manque ! Pas uniquement pour mon CV, mais aussi pour les sensations que ces courses procurent. Je pense au « Kentucky Derby » dont je rêve. Je le pensais inacessible pendant longtemps pour un jockey européen, la probabilité de tomber sur le cheval qui te fera gagner est infime. Mais depuis que certains jockeys français réussissent brillamment aux Etats-Unis, je pense à Julien Leparoux, Flavien Prat et Florent Géroux, je pense que c’est sensationnel de montrer le potentiel de notre savoir-faire. Donc, si j’ai la chance de retomber sur un cheval comme THUNDER SNOW mais en plus sage … je retenterai ma chance. J’ai aussi envie de découvrir l’Australie, un pays formidable pour les courses, avec des réunions incroyables à voir comme la « Melbourne Cup », la « Cox Plate » et le « Golden Slipper », avec un public et une ambiance à part … Bref .. J’ai encore des rêves et j’essaye de les accomplir au fur et à mesure. Il me reste deux Groupes I en France … Le « Prix Jean Luc Lagardère » et le « Prix de L’Abbaye de Longchamp ». Ce sont des courses compliquées à gagner, souvent remportées par les anglais … Mais il y aura toujours des challenges à aller chercher, un record à battre, des courses, des cravaches ... Ce qui est important pour moi c’est de faire plaisir à ceux qui me font confiance, me sentir à l’aise et heureux d’aller aux courses. Ce qui n’a pas toujours été le cas à certains moments de ma carrière, avec des relations délicates et des pressions néfastes. Aujourd’hui, tout cela est dernière moi. Je vais aux courses en souriant, en faisant quelque chose que j’aime et c’est une vraie chance.
CS : Ton prochain défi ? Ta prochaine échéance ?
BL : J’aimerai essayer de garder l’Or, même si je n’ai pas la prétention de vouloir atteindre les 15 récompenses de Christophe … Pieux ! Mais tant que je travaille avec le meilleur, je vais essayer de rester le meilleur dans ma discipline. C’est un défi que j’ai envie de relever. Mes prochaines échéances, elles sont françaises, être à la hauteur dans les très belles courses du second semestre, faire plaisir à mes clients et à Monsieur Macaire. Au delà de l’aspect financier évidemment, c’est pour le sport que l’on travaille tous les jours et pour exceller dans les plus belles compétitions.
CS : Pourquoi l'obstacle ?
BL : J’ai commencé en plat, chez François Rohaut, j’aimais beaucoup, c’est ma première passion mais physiquement je ne pouvais plus, le poids m’a malheureusement rattrapé. Aux alentours de 18 ans, j’ai compris que cela serait trop compliqué de me maintenir. J’ai donc dévié vers l’obstacle plus par dépit au départ que par choix. Je suis cependant satisfait aujourd’hui de mon métier, avec une carrière sympa. Mais de temps en temps, on regarde les belles courses de plat avec envie et je reste très admiratif de ce que peut vivre le top 5/10 des jockeys français en plat. C’est énorme ! C’est alléchant … J’aime bien le haut niveau, je suis les belles courses, surtout à l’étranger et quand tu as gagné la « World Cup » à Dubaï, c’était magique, on est toujours fier de voir son drapeau briller dans d’autres pays.Â
CS : Justement, monter à l'étranger te plairait ou tu l’as déjà fait ?Â
BL : J’ai déjà monté à l’étranger chez toi en Belgique, à Waregem, il y a 3 – 4 ans et l’an dernier en Italie, à Merano. C’est différent, c’est très sympa et sportivement agréable de découvrir d’autres champs de courses. Mais quand on parle « d’étranger » en obstacle, on pense de suite à l’Angleterre ou à l’Irlande. Alors c’est un oui ! Cela me plairait, c’est un rêve dans un coin de ma tête, je ne perds pas espoir, je n’ai que 29 ans (sourire), j’aimerai traverser la Manche un jour et aller me faire plaisir en Angleterre. Sinon, j’aurai l’impression d’avoir loupé quelque chose dans ma carrière. En revanche, je n’ai pas l’objectif d’y passer plusieurs mois et de laisser ma famille. En effet, je ne souhaite pas opposer une notion de plaisir personnel et de satisfaction personnelle à mes valeurs familiales en travaillant loin de ma femme et de mon fils. Je ne profiterai pas particulièrement de vivre une expérience sympa sans eux.Â
CS : Est-ce que le « Grand Liverpool » pourrait être un Graal ?
BL : Alors étonnement, ce n’est pas du tout le « Grand Liverpool » que je considère comme un Graal. Ce qui me fait rêver c’est plutôt la « Gold Cup » de Cheltenham que je compare au « Prix du Président de la République » et au « Grand Steeple Chase de Paris ». Pour moi le Graal c’est « monter l’excellence » et je le retrouve plutôt dans la « Gold Cup ». En revanche le « Grand Liverpool » est une course mythique et j’adorerai y aller au moins en tant que spectateur …
CS : Jockey d'obstacle est un métier à risques encore plus que jockey de plat, comment tes proches appréhendent ton travail ?Â
BL : hm … C’est peut-être eux qui seraient les plus à même de répondre … Je pense que la peur n’est pas quotidienne … Heureusement ! J’ai la chance d’avoir une femme très réactive. A chaque fois que j’ai eu des accidents, elle a tout de suite été présente et a fait le nécessaire. Elle me soutient au quotidien. De plus, j’ai la chance de monter pour le meilleur, Monsieur Macaire, et grâce à lui on limite les risques, on tombe peu souvent car les chevaux sont toujours bien emmenés et bien engagés. C’est aussi pour cette raison que j’ai choisi de travailler pour lui, car depuis que je suis père de famille, je n’ai plus trop envie de faire le cascadeur l’après-midi … (RIRES)
BL : Est ce que tu penses déjà à "l'après" ?
CS : Franchement non, je n’y pense pas. D’une part, parce que je me focalise sur ma carrière, toujours à la recherche du cheval qui fait la différence et d’autre part, parce que je pense qu’il n’y aura peut-être pas d’après. Plus j’avance dans la vie, moins j’ai envie de créer quelque chose. En tous les cas, pas en France, quand je vois l’état d’esprit actuel … on est dans un pays un peu figé. A l’étranger … peut-être, étant donné que la culture est différente. On m’a aussi souvent posé la question si je souhaitais devenir entraîneur … cela ne m’attire pas du tout, c’est très complexe, c’est un autre métier. Je fais déjà un métier où la pression est omniprésente, ce n’est pas pour compliquer « ma retraite ». Je n’ai jamais été un pro des relations publiques. Ça ne fait pas partie de mes atouts, je me connais bien et je ne souhaite pas m’engager dans ce genre de combat …Â
Le mot de la fin :
CS : Un mot pour toi ! Je trouve que c’est extraordinaire de voir les hauts et les bas que tu as dû affronter, en continuant à gravir les marches. A un certain moment, tu étais au-dessus du lot et je crois que tu as essayé de choisir entre la course à la Cravache et se préparer pour les grosses échéances. Mais l’un ne va pas sans l’autre. On se rend compte que dans ce métier, si on veut gagner les bonnes courses, et avoir la chance de monter les meilleurs chevaux, il faut être numéro un. Ce que tu es aujourd’hui. Je te tire mon chapeau, car je n’ai monté que 4 fois dans ma carrière en obstacle, en étant associé à des cracks et sur le bel hippodrome qu’est Auteuil. Je me rends bien compte que ce n’est pas tous les jours faciles … L’an dernier en province, je voyais les pilotes d’obstacle, sur des champs de courses pas toujours en état, avec des chevaux qui restaient sur des chutes, s’élancer sur des haies sous 35° à 2000 km/h. Je ne comprenais pas … C’est vraiment un autre métier, il faut une case en moins… (RIRES) moi j’en ai une parfois, mais j’arrive à la mettre en OFF de temps en temps. J’ai un grand respect pour vous. On vous compare souvent à des boxeurs ou des rugbymen, car ils prennent aussi des coups mais dans votre cas, c’est autre chose, vous tombez à 60km/h avec souvent le poids du cheval de 5/600 kg en plus. C’est violent. Je suis admiratif en particulier de ce que tu fais, tu as la hargne et tu as envie, encore … On voit aussi que tu prends soin de ta famille et aimes passer du bon temps avec tes proches, tes amis. T’es simple, tu te prends pas la tête. Et c’est ce qu’il faut !Â
Propos recueillis par Carole Desmetz Consulting