Jeudi 15 Mars 2012
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Depuis toute petite, elle voulait devenir jockey, puis, à 8 ans, entraîneur, comme son Papa, Christian, qui peut, depuis toujours, compter sur l’aide quotidienne de sa femme. Le long fleuve, pas toujours tranquille, coulait donc… de source, encore fallait-il savoir nager... Mercredi 7 mars et, le lendemain jeudi, elle a réalisé un petit exploit : un coup de deux, le premier à Marseille-Vivaux, « chez elle », le mercredi en semi-nocturne et, le jeudi, elle a remporté l’épreuve réservée aux femmes jockeys à… Deauville ! Manon Scandella, 23 ans, parle, avec son cœur…

Les chevaux, c’est une histoire d’amour ?

Dès que j’en ai été en âge, j’accompagnais mon père, tous les samedis, à l’écurie. A l’époque, nous n’habitions pas auprès des boxes. Ensuite, nous avons déménagé, et les pur-sang faisaient partie de mon environnement. A 8 ou 10 ans, je les montais, à la promenade.

Que disait Christian ?

Rien. Il ne m’a jamais forcée, ni empêchée. Lui comme ma mère m’ont toujours laissée libre de mes choix, et c’est très important. En revanche, ils n’ont pas voulu m’apprendre à véritablement monter à cheval.

Alors ?

J’ai fait de l’équitation classique. Durant 5 ans …

Des succès à la clef ?

Non, pas de significatifs. D’ailleurs, je n’ai pas participé à de « gros » concours. L’intérêt, c’était l’approche approfondie de l’animal, savoir maîtriser sa monture et les situations, les finesses de la « main ».

Vous avez cependant abandonné…

Oui. Cela n’allait pas assez vite.

Qu’est-ce qui n’allait pas assez vite ? Votre apprentissage… ou les chevaux ?

Les chevaux !

Qu’avez-vous fait ?

A 16 ou 17 ans, j’ai travaillé, comme salariée, chez Papa.

Pas d’école AFASEC ?

Non, mon père, qui l’avait suivie, à son époque, a estimé que ce n’était pas la place d’une fille, pour diverses raisons. Je lui ai obéi, mais j’ai décroché ma licence de cavalière, dans les rangs des amateurs.

La compétition ?

Durant 5 ans, sans énormément de participations, mais avec 17 victoires au total.

Ensuite ?

J’ai décidé de me lancer dans le grand bain et de passer « pro ». La première saison, j’ai été très peu sollicitée, et j’ai remporté deux épreuves. La deuxième, en 2011, j’en ai signé 11, la plupart pour Jean-Claude Rouget, qui était mon patron, et chez qui je suis restée plus d’un an. Tout se passait bien, il m’a associée à de bons chevaux…

Pourquoi être partie, alors ?

Je n’arrivais pas à véritablement m’acclimater à Pau, je n’appréciais pas vraiment l’ambiance paloise. J’ai quitté Jean-Claude Rouget en bons termes.

Pour aller où ?

A La Teste. Pour l’instant, je suis au service de Yann Durepaire, mais ce n’était que du « provisoire », pour lui comme pour moi. Un bon point de chute. Dans quelques jours, je rejoindrai l’équipe de Carole Dufrêche, qui me fait confiance et avec qui cela réussit bien : sur mes 5 gagnants 2012, 3 sont entraînés par Carole.

Revenons sur les 3 lauréats d’affilée, à Marseille et Deauville, la semaine dernière…

Formidable. A Vivaux, un pour Carole, avec Amerix, et un autre, le top du top, pour Papa, avec Love Song. A Deauville, c’était Validor, pour Stéphane Labate.

Et comment êtes-vous allée des Bouches-du-Rhône  en Normandie ?

Après la semi-nocturne dans le Midi, je suis d’abord rentrée en voiture à La Teste.

Vous conduisiez ?

Oui.

Et, pour vous rendre à Deauville ?

Nous étions trois, avec Céline Hérisson de Beauvoir et Nathalie Desoutter. Après Bordeaux, nous nous sommes relayées, au volant.

Fatigant, non ?

Il faut savoir ce que l’on veut.

Vous vous plaisez donc à La Teste…

Oui. Les gens sont ouverts, chaleureux. Les paysages sont beaux, la plage, où j’aime me rendre quand j’en ai le temps, est toute proche et, moi qui suis gourmande, j’avoue qu’un foie gras, suivi d’un magret de canard, dans un bon petit restau, entre amis, me comblent.

Gare à votre « ligne » !

(Rires) Je n’ai aucun problème de ce côté-là ! Et puis, je ne suis absolument pas « fêtarde ». Mon emploi du temps est bien réglé.

Des modèles ?

Olivier Peslier et Christophe Soumillon sont, évidemment, des vedettes « références », mais j’apprécie particulièrement Thierry Jarnet. Il se montre très fin, on ne l’entend pas beaucoup, mais il est toujours là, au top, et toujours là, aussi, pour nous. Pour répondre à nos questions, nous donner des conseils…

Rêvez-vous d’une Cravache d’Or ?

Non, bien sûr, c’est impossible. Je profite de mon métier, de ma décharge, mais il est peu probable qu’une femme décroche un jour cette Cravache.

Cette année, pour la première fois, lors de la remise des Cravaches, Chevaux et Etrier d’Or, le 10 avril, à Paris – ce qui n’empêchera pas le traditionnel Gala des Courses d’avoir lieu, en août à Deauville -, Nathalie Desoutter va recevoir un prix spécial, dédié à la « meilleure » cavalière de l’année…

Je suis ravi pour elle. Elle le mérite tout à fait, elle qui monte aussi bien en plat qu’en obstacle. Et, si nous avons choisi d’exercer le même métier que les hommes, il faut les affronter en course. J’étais d’ailleurs contre l’idée d’augmenter le nombre d’épreuves réservées exclusivement aux femmes.

Votre but suprême ?

Devenir entraîneur. Mais, à mon âge, on n’est pas crédible. J’y songe pour dans quelques années. J’ai déjà effectué un stage, d’assistante-entraîneur, en Angleterre, chez Richard Hannon. Beaucoup de 2 ans transitent, au moins, par chez lui. J’ai découvert des infrastructures et des méthodes de travail, différentes de celles que je connaissais. C’était très enrichissant, comme les 7 mois que j’ai, également, passés chez Guy Chérel, où j’ai appris beaucoup quant aux soins…

D’autres projets « éducatifs » ?

J’aime voyager. Je me rendrais bien en Afrique du Sud, où il y a de plus en plus de belles courses et de bons chevaux. Un pays en plein développement, au niveau hippique.

Et essayer de vous y mettre en selle ?

Pourquoi pas ? Cela pourrait amuser les « locaux »… Une « fille », qui plus est étrangère. Ce serait une belle expérience.

D’autres destinations en vue ?

Je ne suis pas très « branchée » Etats-Unis. Mais j’envisage, peut-être, de m’y rendre l’hiver prochain. Là-bas, il y a de plus en plus de cavalières professionnelles, mais il y a sans doute beaucoup de choses plus qu’intéressantes à, sinon assimiler, tout au moins aborder.

Qu'en pensent vos parents ?

J’espère qu’ils sont fiers de ma motivation. Ils me donnent leur point de vue, discutent avec moi des orientations possibles et de leur opportunité. Trop tôt, trop tard ? Ils sont de mon côté et je les sens près de moi. C’est essentiel, à mes yeux. Ils ont compris depuis longtemps que les courses et les chevaux étaient ma raison de vivre.

D’autres passions, tout de même ?

Je pratique régulièrement, à raison de trois fois par semaine quand mon agenda le permet, le « full contact », ou la « boxe française » si vous préférez.

Face à des adversaires féminines ?

Non. Comme sur un hippodrome, je me mesure aussi aux garçons.

Pas peur de vous faire « amocher » ?

Non. Ce ne sont pas des « combats », mais de l’entraînement. Cela me permet de me défouler totalement, de penser à autre chose.

Ce n’est pas très « glamour »…

Ne vous y trompez-pas. Je tiens absolument à garder ma féminité. Je « m’occupe » de moi, aussi.

A savoir ?

Me faire masser, me maquiller – ce que je ne fais jamais le matin avant les galops -, m’habiller autrement qu’en « lad », avec éventuellement des chaussures à talons. Cuisiner ne me déplaît pas non plus.

Célibataire ?

Oui. Vivre seule ne m’est pas pénible du tout. Au contraire. Aucune contrainte. Je peux me concentrer sur mon métier, les chevaux, afin de parvenir à me faire un « petit nom ».

Votre père est adorable…

Merci. Vous n’êtes pas le premier à me le dire, mais… je le savais déjà !