Jeudi 6 Septembre 2012
Cyrille Stefan

Il a réalisé un petit exploit : le 30 août, à Auteuil, il s’est imposé, en selle sur War Monger et, le lendemain, à Moulins, il menait Vasco d’Ycy au succès, en plat. Il a bien failli, pourtant, mettre un terme à sa carrière, il a connu des problèmes de poids, il était presque prêt à abandonner ses rêves, mais, à 28 ans, il connaît comme un nouveau départ. Cyrille Stefan se raconte…

Pourquoi, jockey ?

Nous habitions Wissembourg. Mon père était dans l’armée, ma mère travaillait en usine… Rien à voir. Mais j’ai goûté aux poneys, et aux courses qui leur sont consacrées, avec des résultats, sans avoir noté mon nombre de victoires… A 11 ans, je montais des pur-sang, pour des « permis d’entraîner », sur l’hippodrome de notre ville. J’ai vu ma vie toute tracée, d’autant que j’avais le gabarit.

Il n’y a pas d’écoles AFASEC, dans l’Est…

C’est pourquoi j’ai fait mes valises pour le Moulin-à-Vent, à Gouvieux.

« Tombé » chez qui ?

Jonathan Pease. Et là, je voudrais faire taire les « légendes » qui l’accompagnent. Il a mauvaise presse, il ne parle pas aux journalistes, ce qui n’est pas vrai, car vous lui aviez consacré deux pages dans votre journal, et il vous avait reçu chez lui. Certains ont évoqué sa bouche perpétuellement ouverte, c’est la séquelle d’un accident de voiture, on le prend pour un autiste, mais je peux vous assurer qu’il est très intelligent, et très cultivé. A ses rares moments de pause, il va visiter des musées, des expositions, avec son épouse. Il est plus qu’intéressant et entretient une complicité rare avec son personnel, et ses jockeys. Je suis resté 8 ans chez lui, et je n’en garde que de bons souvenirs. Il m’a confié de bons chevaux, dans des listed, j’ai gagné, pour lui, un Groupe III à Baden-Baden, j’ai perdu ma décharge alors que j’étais à son service. Je devais servir de leader à Bago, dans la Gold Cup irlandaise, mais au moment d’entrer dans l’avion, mon cheval est devenu fou, a tout cassé… Du coup, les deux n’ont pu embarquer car, s’il y avait problème « en l’air », les deux auraient dû être euthanasiés… Ce n’était pas le but recherché. Mais le voyage était programmé et, avec Alan Cooper, le « manager » de la famille Niarchos, et mon patron, nous y sommes allés quand même… C’était exceptionnel… La ferveur du public, le monde qui s’était déplacé… Grands moments.

Que retenez-vous de ses leçons ?

Il y a deux écoles. La « classique », comme la sienne, où l’on forme les chevaux, où on les forge au fur et à mesure des sorties. J’ai appris à « poser les mains », quand je constatais que je ne pouvais faire mieux que troisième, plutôt que de « corriger »  ma monture, pour échouer d’une tête pour le premier accessit. La prochaine fois, on pourra conclure certainement plus près. La deuxième école, c’est « l’usine », et je ne citerai personne. Les chevaux sont là pour gagner de l’argent, et on les « coupe en deux », pour la cinquième fois du mois, pour prendre une tête sur le poteau, dans un réclamer. On m’a enseigné le respect de l’animal.

Pourquoi avoir quitté Jonathan ?

Les kilos s’ajoutaient inexorablement. Il fallait que je m’oriente vers l’obstacle.

A contre cœur ?

Non, si l’on peut dire, c’est à contre cœur que j’étais entré chez Jonathan Pease, j’aurais préféré, d’emblée, une écurie d’obstacle. A 12 ans, je sautais le steeple… Mais je ne regrette rien. J’ai connuSpinning WorldAct OneBago… De grandes aventures…

Alors ?

J’ai pas mal « navigué ». Robert Collet, obstacle, donc, François-Xavier de Chevigny, Jean-Paul Gallorini, François-Marie Cottin, chez qui je me sentais très bien, mais nous étions trop sur la liste des volontaires, et, comme il est droit, il ne favorisait personne. Il avait ses jockeys « maison » Dean Gallagher, puis Philip Carberry, mais les apprentis se mettaient en selle à tour de rôle. Et, dans mon cas, pas assez, à mon goût. Je suis alors parti chez Yann-Marie Porzier, où c’était un peu la même chose, et, au bout de cette période qui a duré 3 ou 4 ans, j’ai commencé à désespérer un peu… Nulle part, je n’ai ressenti la même complicité qu’avec Jonathan Pease, entre l’entraîneur et ses pilotes. Je me suis dit que la compétition était terminée, pour moi.

Réaction ?

J’ai appris qu’une place s’était libérée, chez Elie Lellouche. J’ai postulé immédiatement. Non pas pour la casaque, mais, je l’avoue, parce que travailler le matin, pour lui, était bien payé… J’avais pensé, ainsi, devenir cavalier d’entraînement, et, le week-end, garder mes « clients », notamment dans l’Est de la France, pour continuer le métier.

Bilan ?

Extra. Je suis chez Monsieur Lellouche depuis un an. Quand je suis arrivé, il commençait à remettre certains de ses pensionnaires sur les obstacles, ce qui m’a évidemment plu. J’ai été associé, le matin, à une pouliche, qui a remporté le Prix Finot, et à un poulain qui a conclu deuxième de la version « mâles ».

J’avoue que je ne donnais pas cher de vos chances, avec War Monger, au bout de la ligne d’en face, ce 30 août.

Monsieur Lellouche m’avait donné des ordres assez précis. Le cheval est très délicat à monter, il est très allant. Il restait sur une chute à Dieppe, il fallait le remettre en confiance. Avec lui, il faut avoir de la glace pilée dans les veines. Le patron m’avait dit : « Je préfère que tu viennes trop tard, que trop tôt… ». J’ai donc pianoté au maximum, et nous sommes venus gagner.

Combien de succès ?

Entre 160 et 170, en plat, avec des beaux, dont 3 ou 4 Groupes I en Tunisie, d’autres en Suisse, en Irlande, en Inde – 17 gagnants, dont Groupes, durant un meeting d’hiver à Bombay, où je retournerais volontiers chaque année si j’étais moins lourd, car, là-bas, il faut accuser 50 kilos - , en Allemagne… J’aime les voyages. En obstacle, j’en suis à 9, mais j’ose espérer que ce n’est pas fini.

Vous n’êtes pas beaucoup, à ma connaissance que deux, avec Gaétan Masure, en région parisienne, à exercer dans les deux disciplines…

Effectivement. Gaétan réussit bien dans les deux spécialités. Il est fort.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Le « boss » me fait de plus en plus confiance, j’espère vivre encore de belles histoires de course.

Des victoires à détacher ?

Toutes sont belles. Il n’y en a pas de « petites ». On préfère celles que l’on obtient avec ses « chouchous », bien sûr. Comme cela, à la volée, je dirais Proken, en Espagne, pour Rodolphe Collet, le quinté de Mondovino, le week-end de l’arc, et « mon » pur-sang Arabe, Thyn, et ses Groupes en Tunisie.

Préférence plat ou obstacle ?

J’aime les deux. D’ailleurs l’hiver dernier, alors que j’avais atteint les 60 kilos, j’ai préféré faire un régime et perdre 12 livres, pour participer au meeting de Deauville, plutôt que d’aller me « rouler » sur les obstacles de Cagnes-sur-Mer. Mais je dois reconnaître qu’aller au bout, en obstacle, finir le parcours, est une autre satisfaction qu’en plat, où  c’est très facile. On y « prend son pied » bien d’avantage. Sincèrement, ce n’est pas le même métier.

Et le « métier », justement ?

Parmi mes collègues, il y en a de plus doués que d’autres, forcément. Mais il y a aussi un effet de mode, il faut être dans le « moove ». Plus tu montes, plus tu as de chances de t’imposer. Je connais quelques cavaliers, que je rencontre le dimanche en province, qui, s’ils avaient eu un peu plus de chance, seraient actuellement dans le « top 10 ». A moins d’être très mauvais, si tu es assis sur du gaz, tu le fais parler…

Qui sont les plus doués ?

Il y en a beaucoup. Mais Thierry Jarnet, en plat, pour moi, est un modèle. Le mec est un professionnel hors-pair, qui a atteint, depuis longtemps, le très haut niveau, mais qui est resté très simple. Il monte de la même façon pour tout le monde, un « truc » qui se perd, avec les jeunes, dans un « réclamer » comme dans un Groupe I. Certains « nouveaux » se mettent en selle et, déjà, n’aiment pas le cheval qui leur a été confié. Leur attitude sera très différente. En obstacle, dans ma chambre, tout môme, j’avais accroché un poster de Christophe Aubert, pour sa finesse, sa légèreté… Mais…

Mais quoi ?

Il s’agit de courses de chevaux, et pas de jockeys. Les chevaux font le boulot, et ceux qui les préparent le matin, aussi. Nos plus fines cravaches, comme Olivier Peslier, ne sont pas forcément des pilotes de génie, mais ils ont un don avec le cheval proprement dit, à travers leurs mains, le mors, ils ressentent mieux que quiconque ce qui se passe « en-dessous ».

Vie privée ?

Célibataire.

Passions ?

Le vélo. Depuis l’an dernier, je suis inscrit à la T.S.F. de Fontenay-en-Parisy.

T.S.F. ?

La Tige de Selle Fontenaisienne. Courses sur route et, l’hiver, cyclo-cross., dans l’Oise et toute l’Ile-de-France.

Des résultats ?

Tombé en plat, eh oui !, je me suis cassé une clavicule en mars,  et j’étais donc en retard dans ma préparation, mais j’ai quand même réussi à prendre deux deuxièmes places dans des épreuves officielles.

Un parallèle vélo/chevaux ?

Oui, on peut. Il faut apprendre à gérer ses efforts, et je suis encore « bourrin », sur une bicyclette, et… on comprend mieux les chevaux à mi-ligne droite. Par ailleurs, quand on ne « prend pas le vent », c’est plus facile…

Et les autres avantages de ce sport ?

Contrairement à ce que m’a dit Dominique Bœuf, qui m’a vu m’entraîner, et qui m’a alerté sur le fait que j’allais prendre du muscle, et donc du poids, pédaler me maintient au niveau de la balance et au niveau physique, compensant le manque de montes en compétition. Tous les jours, sauf quand je suis débordé, je m’entretiens par 80 ou 90 kilomètres sur la selle. C’est bon pour le cœur, et pour tout…

Et pas de soirées avec les potes ?

Si, mais de temps à autre, seulement. Car, levé à 5 heures, après le travail du matin, les courses, ou, sinon, le vélo, je suis « rincé », le soir. Mais, très gourmand, j’apprécie un bon restau… Cela dit, je m’interdis pas mal de choses, accordant priorité aux légumes et aux poissons.

Christophe Pieux reste sans manger, un ou deux jours par semaine…

Ce que je faisais quand j’étais apprenti. Mais je préfère m’alimenter à ma faim et brûler les calories sur le bitume. Regardez, et on l’a vu aux Jeux Olympiques, les nageurs sont des superbes athlètes, les marathoniens sont fins comme des fils. J’ai la chance que le vélo me convienne parfaitement.

Tout… roule !